Dans ce précieux verset, Il nous a enseigné que,
sous le rapport de Son nom al-Nur (La lumière),
Allah - à savoir le Nom qui totalise tous les Noms - est
la Lumière des cieux et de la terre, c'est-à-dire
leur être même, que c'est par Lui qu'ils subsistent
et par Lui qu'ils sont manifestés. En effet, c'est par
la lumière qu'apparaît ce qui était celé
dans la Tenèbre du néant. N'eût été
Sa lumière, aucune chose ne serait perçue et il
n'y aurait aucune différence entre une ombre et celui qui
la projette. La lumière est la cause (sabab) de
la manifestation des créatures- parmi lesquelles la terre
et les cieux- ainsi qu'il en va dans le monde physique, où
l'obscurité de la nuit rend les choses comme inexistantes
par rapport aux observateurs jusqu'au moment où l'apparition
de la lumière entraîne celle des choses et les distingue
les unes des autres; et cela au point qu'un des philosophes a
dit que les couleurs étaient inexistantes dans l'obscurité
et que la clarté était une condition sine qua
non de leur existence.
Si Dieu a privilégié les cieux et la terre d'une mention
dans ce verset, c'est parce que les cieux sont le lieu symbolique
des purs esprits (ruhaniyyat) et la terre celui des êtres
dotés d'un corps. Les uns et les autres sont illuminés
par une unique Lumière, sans que pour autant elle se sépare,
se divise ou se partage.
La Lumière absolue ne peut pas davantage être perçue
que l'Obscurité absolue. La lumière a donc brillé
sur l'obscurité, de telle sorte que cette dernière
soit perçue par la lumière, et celle-ci par elle.
Tel est le sens de cette parole des maîtres: Dieu Se manifeste
par les créatures, et les créatures se manifestent
par Lui. Le Shaykh al-akbar a dit à ce propos:
"N'eût été Lui, n'eût été
nous Ce qui est ne serait pas."
Autrement dit: sans Dieu, la créature ne serait pas existenciée
(khalqun bi-la haqqin la yujad) et sans la créature,
Dieu ne serait pas manifesté (haqqun bi-la khalqin layazhar).
Sache cependant que Dieu, pour Se manifester par Son essence à
Son essence, n'a nul besoin des créatures puisque sous
le rapport de l`Essence, il est absolument indépendant
à l'égard des mondes et même de Ses propres
noms: car, de ce point de vue, à qui se nommerait-il? à
qui pourrait-il être décrit? A ce degré, il
n'y a que l`Essence une et absolue! En revanche, lorsqu'il se
manifeste avec Ses noms et Ses attributs- ce qui implique la manifestation
de leurs effets- Il a besoin (huwa muftaqir) des créatures.
Le Shaykh al-akbar a fait allusion à cela dans ces vers:
"Chacun d'eux est dans le besoin
Aucun d'eux ne se passe de l'autre",
"eux" désignant ici Dieu et la créature.
Cette dépendance des Noms divins à l'égard
des êtres qui sont leurs lieux de manifestation n'est pas
une imperfection. Elle constitue au contraire la perfection au
niveau des Noms et des Attributs car le besoin qu'a la cause,
en tant que telle de son effet en tant que tel représente
la perfection même. Cette relation est en effet nécessaire
pour que les Noms divins, qui ne se distinguent que par leurs
effets, puissent se distinguer les uns des autres. Toutefois les
Noms divins, par celle de leurs "faces" qui est tournée
vers l`Essence, sont eux aussi totalement autonomes à l'égard
des mondes: sous ce rapport, ils ne sont rien d'autre que l'Essence
même, et c'est pourquoi chacun d'eux peut être qualifié
et désigné par tous les autres Noms au même titre
que l'Essence.
Dans l'une de mes visions contemplatives, je vis ceci: un immense
registre ouvert m'était présenté. Sur chaque
ligne, un Nom divin était écrit, puis était
successivement qualifié sur cette même ligne par
tous les autres Noms. Sur la ligne suivante, un autre Nom était
écrit et pareillement qualifié par tous les autres
et ainsi de suite jusqu'à épuisement de la liste
des quatre-vingt-dix-neuf Noms divins.
Au contraire, si l'on considère la "face" des
Noms qui est tournée vers les mondes crées, ils
sont, de ce point de vue, dépendants de ces derniers dans
la mesure où ils cherchent à produire leurs effets:
celui qui cherche est dépendant à l'égard
de ce qu'il cherche.
Les cieux, la terre et toutes les créatures, dont la lumière
est le Nom al-nur, sont les ombres des Noms et des Attributs
projetées sur les prototypes immuablement fixes dans la
Science divine (al-a'yan al-thabita fi l-hadrat al-'ilmiyya).
Toute ombre nécessite en effet une surface. telle que la
terre ou l'eau, sur laquelle elle puisse se projeter. C'est la
lumière qui rend l'ombre visible, mais c'est l'objet vertical
[éclairé par cette lumière] qui lui donne
sa forme. Cet objet vertical correspond, en l'occurrence, au degré
des Noms et des Attributs, et la Lumière est l'Etre qui
se répand sur les possibles.
Puis Dieu a répondu [dans la suite du verset] à
la question: cette illumination de la terre, des cieux et de toutes
les créatures se produit-elle directement ou par intermédiaire
? Doit-elle être comprise comme une conjonction, une union
ou un mélange? Par le recours au symbole de la niche, du
verre et de la lampe, Il nous a fait savoir que cette illumination
s'opérait, sans union, mélange ni conjonction, par
l'intermédiaire de la Réalité muhammadienne
(al-haqiqa al-muhammadiyya), laquelle est la première
détermination (al-ta'ayyun al-awwat), l'isthme des
isthmes (barzakh al-barazikh), le lieu de la théophanie
de l'Essence et de l'apparition de la Lumière des lumières.
C'est cette Réalité muhammadienne qui est désignée
par le "verre". Quant à la "niche",
elle représente la totalité des créatures-
la Réalité muhammadienne exceptée, car c'est
du "verre", et par son intermédiaire, que se
répand perpétuellement la lumière. Quant
à la "lampe", elle symbolise la lumière
existentielle et relative (al-nur al-wujudf al-idafi).
Dieu nous a informé ensuite que ce verre, par quoi la lumière
parvient à la niche, possède cette finesse, cette
plénitude, cette pureté, cette aptitude à
recevoir la lumière et à la répandre sur
la niche en raison de sa prédisposition parfaite et insurpassable,
au point qu'on a pu dire qu'à lui s'appliquait ce distique
de Sahib Ibn 'Abbad:
"La coupe était si pure et le vin si limpide qu'ils
devinrent semblables, au point qu'on ne savait
S'il y avait là du vin sans coupe ou une coupe sans vin."
C'est là le sens de "comme un astre resplendissant".
"Elle tire sa flamme": il s'agit ici de la lampe, c'est-à-dire
de la lumière existentielle relative. "D'un arbre":
d'un principe, d'une source. "Béni": sa bénédiction
est pérenne, et sa surabondance inépuisable. "Ni
d'orient ni d'occident": on ne peut dire de cet arbre dont
la lampe tire sa flamme, ni qu'il est "oriental"- ce
qui le rattacherait au lever du soleil et à l'illumination
- ni qu'il est "occidental"-ce qui le rattacherait au
couchant et à l'ombre- car il est l'Essence même.
Or, à cette dernière, on ne peut assigner aucun
statut particulier puisqu'elle ne peut être saisie par l'intellect
et que l'assignation d'un statut à ce qui est inintelligible
est impossible. Elle n'est ni d'orient ni d'occident, ni nécessaire
ni contingente, ni être ni non-être. Elle ne se manifeste
pas par une chose sans se manifester aussi par son contraire.
"Peu s'en faut": cela était près de se
produire mais ne s'est pas produit. "Que son huile":
ce qui alimente la "lampe" mentionnée plus haut.
"N'illumine": que l'Essence ne se manifeste que par
elle -même et pour elle-même, sans être associée
à quoi que ce soit- j'entends par là une association
en mode purement conceptuel. "Sans même que la touche
le feu": c'est là une allusion aux formes manifestées
auxquelles s'associe ce qui est symbolisé par l'huile,
laquelle représente la réalité essentielle
de la lampe. La lumière de la lampe n'apparaît pas
si elle n'est pas en contact avec le feu. A son tour, le feu n'éclaire
pas et ne se manifeste pas sans la présence de quelque
chose qui l'alimente, et cette chose elle-même ne se manifeste
que si le feu est en contact avec elle.
"Lumière sur lumière": la lumière
attribuée aux cieux et à la terre est identique
à la Lumière absolue que ne limitent ni les cieux
ni la terre. "Sur" ('ala): signifie "Nous"
(bi-ma'na nahnu).
"Allah guide" par Ses instructions et Ses théophanies
"qui Il veut" d'entre ses serviteurs "vers Sa lumière":
Sa lumière absolue, et non la lumière relative attribuée
à telle ou telle chose. "Allah fait des symboles pour
les hommes": afin que leur soit évidente la réalité
des choses car "Allah connaît toute chose" et
sait comment en tirer un symbole. Mais aux hommes Il a dit: "Ne
faites pas de symboles d'Allah" (Cor. 16: 74). Il a formulé
cette interdiction en raison de leur ignorance, car ils ne sauraient
comment faire ces symboles; mais cette interdiction ne s'applique
qu'au Nom Allah, qui est le Nom totalisateur. Quant aux autres
Noms, il n'y a pas d'interdiction.
Et Allah est plus Savant et plus Sage!
Mawqif 103.
Sommaire
'Ilm al Yaqin |
Extraits de Écrits spirituels (Kitab al Mawaqif) de l'Émir Abd el-Kader, présentés et traduits de l'arabe par Michel Chodkiewicz (Paris, Seuil, 1988).